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MAJ : 06/09/2023
L’éveilleur SCOP, jeune société coopérative implantée sur la commune d’Avignon, souhaite faciliter la prise de conscience des enjeux sociétaux et écologiques de façon transversale, par et pour les arts, et à destination de tous les publics. Son objectif est d’amener les citoyennes et citoyens du territoire du Grand Avignon à se rencontrer, à débattre sereinement et les accompagner dans leur transition. En s’inscrivant dans la dynamique des coopératives, l’éveilleur SCOP adhère aux principes de l’économie environnementale, sociale et solidaire.
Pour marquer la rentrée, le Mouvement Impact France a organisé les Universités d’été de l’économie de demain, réunissant l’ensemble des réseaux d’entreprises engagées en France, à la Cité Internationale de Paris fin août 2021.
Lors de la table ronde “Grande mise à jour de la Culture“, les intervenantes et intervenants ont présenté le secteur culturel comme étant un secteur fort par sa spontanéité à se réunir et à faire corps. En effet, de nombreuses démarches collectives ont été initiées durant la période de confinement et post-confinement pour faire face aux difficultés rencontrées par l’ensemble des acteurs. C’est à la suite de ces échanges que l’équipe de l’éveilleur SCOP s’est interrogé sur la place de l’entraide dans le secteur culturel.
Pour aller plus loin dans l’action collective, prenons l’exemple de l’association ikigai prod qui a lancé son réseaux professionnels suite au premier confinement. La jeune structure vous invite à les rejoindre pour constituer un réseau professionnel en faveur de la transition écologique et sociale par et/ou pour les arts de la scène, avec comme objectif d’expérimenter, de partager et de faire raisonner des nouvelles pratiques.
L’entraide incarnée ?
Selon Pablo Servigne, « Nous sommes l’entraide incarnée ».
« Dans cette arène impitoyable qu’est la vie, nous sommes tous soumis à la « loi du plus fort », la loi de la jungle. Cette mythologie a fait émerger une société devenue toxique pour notre génération et pour notre planète »1.
Nous avons tendance à considérer les espaces sauvages, forêts et océans, comme des lieux où règnent uniquement la loi du plus fort. Cette idée, nous l’avons conscientisée dès le plus jeune âge, notamment par les livres et les films. Finalement, c’est toujours la plus grosse bête qui mange la plus petite : ainsi fonctionne la loi de la jungle. L’exemple de la chaîne alimentaire ici peut prendre sens ; nous visualisons cette image composée d’une succession de végétaux et d’animaux qui sont, chacun leur tour, mangé par le suivant. Tout cela a encouragé l’imaginaire collectif à croire qu’à l’état sauvage, la loi du plus fort prime et que c’est “chacun pour soi”.
Ce fonctionnement du “chacun pour soi”, cet individualisme, a été normalisé au sein de nos sociétés mais « il s’agit d’un mythe institutionnalisé depuis près de deux siècles – notamment par l’essor du capitalisme. Dans l’Angleterre victorienne, Herbert Spencer interprète les théories de Darwin en parlant de la “loi du plus fort”. Or Darwin lui-même n’a jamais parlé de cela. Et cette idée de compétition n’a fait que se renforcer depuis un demi-siècle avec la montée du néo-libéralisme »2. La chaîne alimentaire nous montre surtout un lien naturel et une forme de dépendance entre les êtres vivants. Il existe autant de chaînes alimentaires que de milieux naturels ; leur unique objectif est de maintenir l’équilibre de l’écosystème.
En parallèle, les espèces entretiennent des relations particulières entre elles pour survivre : la symbiose, le mutualisme et le commensalisme. Autant de phénomènes qui démontrent que, malgré la relation proie/prédateur, les êtres vivants ont la capacité de partager, s’entraider et s’associer afin de conserver un lieu vivable et durable pour tout l’écosystème. « Un examen attentif de l’éventail du vivant révèle que, de tous temps, les humains, les animaux, les plantes, les champignons et les micro-organismes – et même les économistes ! – ont pratiqué l’entraide. Qui plus est, ceux qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas forcément les plus forts, mais ceux qui s’entraident le plus (…) »3.
Fort heureusement, depuis les années 904, l’entraide et la solidarité reprennent leur place au cœur de notre système, après avoir été trop longtemps mises à l’écart. De plus en plus de projets coopératifs voient le jour ; ils contribuent à la sensibilisation des citoyennes et citoyens à ce mode de vie solidaire. Pablo Servigne et Gauthier Chapelle le souligne :
« Aujourd’hui, les lignes bougent. Un nombre croissant de nouveaux mouvements, auteurs ou modes d’organisation battent en brèche cette vision biaisée du monde et font revivre des mots jugés désuets comme “altruisme”, “coopération”, “solidarité” ou “bonté”. Notre époque redécouvre avec émerveillement que dans cette fameuse jungle il flotte aussi un entêtant parfum d’entraide… »5.

Le lien avec les cultures et la culture
Juliette Smeralda, dans son livre La Culture de l’entraide. Un modèle d’économie alternative : le cas de la Martinique, décrypte la tradition bien connue du “koudmen“ dans les sociétés antillaises.
Le phénomène du koudmen est ancré dans les traditions sociales des Afro-Caribéens : il s’agit d’un système d’échange non monétarisé, basé sur le don et le contre-don. L’autrice l’ « appréhende en tant que civilisation, parce qu’elle sous-tend toute l’organisation sociale des sociétés africaines traditionnelles »6.
Cette pratique culturelle démontre l’ancienneté du système d’entraide au sein des groupes. Sans nos cultures, il n’y aurait certainement pas de solidarité, ni d’entraide. Cette dernière nous permet de surmonter nos différences, non pas pour les gommer, mais pour en faire une richesse collective. La culture, au sens des“industries culturelles et créatives“, quant à elle, est un vecteur de transmission et d’acculturation auprès des publics. Elle s’inscrit dans une volonté de faire ensemble, faire avec et faire corps. Elle fédère et apporte de nouvelles perspectives aux citoyennes et citoyens : « La culture « établit un trait d’union entre les autres et soi-même »; elle permet de communiquer, elle est la rencontre de l’autre »7.
D’autres manières de faire
Collaboration ? Coopération ? Mutualisation ? Entraide ? Employées à tout bout de champ au sein des institutions, structures et entreprises : que faut-il retenir de ces dynamiques ?
La collaboration et la coopération sont des synonymes, ces termes définissent l’action de participer à une œuvre, à un projet commun. En revanche, ils sont tous deux utilisés à des fins différentes. Le mode coopératif correspondrait au partage d’un projet commun dans lequel les missions sont réparties, ainsi que les responsabilités. La coopération peut prendre différentes formes : elle peut être formelle ou informelle, de moyens, d’idées, stratégique, économique, etc. Ce fonctionnement implique un rapprochement entre des structures qui souhaitent faire ensemble.
En parallèle, la collaboration consiste à une réelle fusion entre les entités et/ou individus qui partagent l’entière responsabilité du projet. Ce mode collaboratif est plus stratégique, car il nécessite le partage d’une vision unique : ici, les structures vont faire corps.
La mutualisation est le partage des moyens pour faciliter les mises en œuvre de projets indépendants. Ce fonctionnement permet le partage des emplois, c’est-à-dire la création de postes ou la mise à disposition du personnel entre les organisations ; le partage des réflexions, des pratiques favorisant les rencontres professionnelles ; mais également le partage et la transmission des savoirs et des ressources. C’est un faire avec qui implique une confiance partagée entre les structures.
L’entraide est l’action d’agir en commun, c’est-à-dire la mise en place d’une aide que l’on se porte mutuellement8. En sociologie, nous pouvons dire que « Les pratiques d’entraide sont donc encadrées par des obligations sociales de type don/contre-don : l’entraide est présentée comme gratuite et unilatérale. Mais en fait, elle relève de la réciprocité : celui qui reçoit à un moment se sentira obligé de donner à son tour s’il le peut à un autre moment de son parcours de vie »9. En économie, c’est un concept alternatif d’échange réciproque et volontaire de ressources et de services au profit de toutes et tous.
Finalement, l’ensemble de ces termes ont une valeur commune : agir pour le collectif ! L’entraide propose une dimension supplémentaire de solidarité qui semblent devoir être plus particulièrement inscrit dans un mode de fonctionnement global.
Laura-Lou Rey
- Résumé de L’Entraide : L’autre loi de la jungle de Gauthier Chapelle et Pablo Servigne. URL éditeur : http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-L_Entraide-9791020904409-1-1-0-1.html ↩︎
- Entraide et solidarité, les vraies lois de la nature ?, vie quotidienne, Cooloc, art. 16 août 2021. URL: https://blog.cooloc.com/vie-quotidienne/entraide-solidarite-une-loi-de-la-nature/ ↩︎
- Résumé de L’Entraide : L’autre loi de la jungle de Gauthier Chapelle et Pablo Servigne. ↩︎
- Ould Ahmed Pepita, La solidarité vue par l'”économie sociale et solidaire”, Revue Tiers Monde, 2010/4 (n°204), p. 181-197. URL : https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2010-4-page-181.htm ↩︎
- Résumé de L’Entraide : L’autre loi de la jungle de Gauthier Chapelle et Pablo Servigne. ↩︎
- https://la1ere.francetvinfo.fr/koudmen-la-culture-de-l-entraide-decryptee-par-la-sociologue-martiniquaise-juliette-smeralda-402815.html ↩︎
- https://www.huffingtonpost.fr/claudie-haignere/la-culture-permet-a-lhomm_b_4310446.html ↩︎
- Définition Larousse. URL : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/entraide/29977 ↩︎
- Thibault Nicolas, L’entraide et la réciprocité des échanges familiaux, Idées économiques et sociales, 2010/4 (N° 162), p. 4-5. URL : https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2010-4-page-4.htm ↩︎